Françoise Galland – Bébé souffre

Jusque dans les années 1980, la douleur des bébés a été niée. Il était fréquent d’opérer les bébés sans anesthésie car les médecins pensaient que le système nerveux des tout-petits était trop immature pour ressentir cette sensation de douleur. Et qu’ils n’en gardaient, par ailleurs, pas de trace dans leur mémoire.

Quelle perception -a-t-on aujourd’hui de la doueur de bébé ? Premiers éléments de réponse avec Françoise Galland, directrice de l’association Sparadrap qui vient en aide aux familles et aux professionnels quand un enfant est hospitalisé, et le Dr. Chantal Wood, responsable de l’Unité d’évaluation et de traitement de la douleur à l’Hôpital Robert Debré (Paris).

Quand bébé souffre

Côté Mômes : On sait aujourd’hui que l’enfant possède, dès la 24e semaine de grossesse, toutes les connexions nerveuses pour ressentir la douleur. Pourtant, les préjugés (« il est petit, il oubliera ») et les pratiques inadéquates perdurent. Pourquoi ?

Françoise Galland
 : C’est toujours très long de changer les mentalités. Du côté des soignants, il est parfois trop douloureux de reconnaître qu’on a fait inutilement souffrir pendant toute sa carrière… Du côté des enfants, les plus petits ne peuvent verbaliser pour se plaindre, et les plus grands ne sont écoutés que depuis peu de temps. Cela date de la Convention des droits de l’enfant… Enfin, du côté des parents, dans notre culture judéo-chrétienne, on nous transmet plus ou moins l’idée qu’il faut en baver pour aller au paradis. On se dit que pour un enfant avoir mal, ça endurcit, c’est formateur… Et parfois c’est vrai ! Mais à condition que l’enfant ne soit pas pris en traître (ne pas lui dire que ça ne fait pas mal si c’est faux) et qu’il soit bien accompagné : on dispose pour cela de toute une série de moyens. Rappelons cependant qu’adultes comme enfants, nous ne sommes pas égaux devant la douleur. Pour certains, un vaccin sera douloureux, pas pour d’autres.

Dr. Chantal Wood
 : Il existe toujours des psychorigides qui refusent d’utiliser certains antalgiques. La morphine fait encore peur, pourtant il n’y a jamais eu de preuve d’un quelconque risque d’accoutumance ou de tolérance lors d’une utilisation pour une douleur aigue… Ce qui fait que je crois beaucoup à l’éducation thérapeutique que peuvent apporter les médias !

Bébé se souvient d’avoir eu mal

CM : Dès la naissance, des tests médicaux sont pratiqués, des vaccins suivent, puis tous les soins relatifs aux éventuelles plaies et maladies infantiles, parfois douloureux. Mais ne sont-ce pas des douleurs « banales », sans réelles conséquences ?


FG
 : Les chercheurs ont montré que dès le départ, si bébé n’est pas aidé, il va se constituer une « mémoire » de la douleur qui peut compliquer les gestes ultérieurs. Il est donc primordial d’assurer dès les premières fois. Anna Taddio a ainsi publié une étude sur des garçons américains circoncis à trois jours sans anesthésie (revue The Lancet 1995 – 345 ; 291-2 et 1997- 349 ; 599-603). Eh bien ensuite, leur score de douleur et leur agitation lors des vaccins étaient bien plus importants que pour les autres enfants… Car quand on a eu mal une fois, on est plus inquiet, et la peur augmente la perception de la douleur. Alors certes l’enfant « ne va pas en mourir » ni être « traumatisé à vie », mais il faut sortir de cet état d’esprit, de cette logique : on n’est pas forcé d’avoir mal pour notre bien !

Dr. CW : Ce qui est sûr, c’est qu’une douleur aigue peut créer phobies, stress, problèmes de sommeil et augmentation d’une douleur future. Il y a également beaucoup de recherches sur l’épidémiologie de la douleur chronique chez l’adulte. Elle a sûrement un rôle sur l’altération du comportement, même si ce n’est pas le seul facteur.

Bébé souffre : comment le soulager

CM : Sparadrap a édité, en décembre dernier, un livret pour présenter aux parents les différents moyens de soulager l’enfant de 0 à 2 ans lors des douleurs provoquées par les soins. Mais n’est-ce pas au personnel soignant d’informer les parents ?

FG : Idéalement, si, mais les soignants ne sont pas tous formés sur le rôle des parents dans la prise en charge de la douleur. Il existe une grande disparité entre les plus anciens et les jeunes qui arrivent, sensibilisés à la question. De plus, ces derniers ne donnent que des informations orales : il n’est donc pas sûr que les parents s’en souviennent dans un contexte moins favorable. L’intérêt du livret, c’est qu’il reste, et qu’on peut s’en servir partout. L’idée est de le garder dans le carnet de santé de l’enfant.Dr. CW : Les médecins ont tous aujourd’hui, lors de leur 6e année d’étude, une trentaine d’heures sur la douleur et les soins palliatifs, mais seulement 3 heures sur la douleur de l’enfant. De leur côté, les écoles d’infirmières ont des modules sur la douleur, complétés par les formations internes des hôpitaux où les infirmières exercent ensuite. Dans mon unité, tous les médecins ont aussi un diplôme spécifique Capacité Douleur (obtenu sur 2 ans) et les infirmières un Diplôme Universitaire spécialisé (sur un an).

CM : Que peuvent faire des parents pour soulager leur enfant ?

FG :
Pour les tout-petits, notre livret montre que garder au maximum le contact avec son enfant (avec les mains ou la voix), le distraire (en faisant des bulles de savon, en chantant…) ou lui donner une tétée ou une solution sucrée et une tétine à sucer pendant certains soins comme les vaccins permettent une réelle diminution de la douleur (voir encadré). Ce sont des gestes simples, mais il faut les connaître pour pouvoir aider son enfant… et parfois insister devant les professionnels ! Avant tout, la présence des parents aide l’enfant. Dans les endroits où leur présence ne va pas de soi, comme à l’hôpital, ils doivent insister pour qu’il y ait une période minimum d’adaptation avec eux (comme dans les crèches). Autrefois, les soignants rejetaient les parents car ils n’avaient pas de moyens antalgiques pour soulager l’enfant, et qu’ils étaient gênés de le faire souffrir devant eux. Mais aujourd’hui, plus d’excuse !

Dr. CW
 : Les parents ne sont pas suffisamment informés de ce qu’ils peuvent faire pour soulager leur enfant. Face à un enfant qui a une otite, par exemple, il faut donner un traitement anti-douleur de manière systématique, quatre à six fois par jour, pendant une période donnée. On n’attend pas qu’il se plaigne ou que la douleur revienne pour soigner ! Les gens ont un peu trop tendance à sous doser ou à ne donner « que si ».

Comment mesurer la douleur de bébé?

CM : Mais comment mesurer la douleur chez les 0-3 ans, à l’âge où on ne sait pas ou à peine parler ?

Dr CW
 : Pour les plus petits, c’est aux parents de devenir les avocats de leurs enfants, car ce sont eux qui les connaissent le mieux (voir encadré). Il existe aussi des échelles d’évaluation de la douleur aigue ou prolongée : elles sont basées par exemple, pour les enfants de 0 à 18 mois, sur les mimiques faciales. Mais ces échelles sont encore sous utilisées. A l’hôpital, les enquêtes de l’Assistance publique et la recherche d’accréditations poussent vers de plus en plus de qualité, mais il reste encore de gros progrès à faire vis-à-vis des « non communicants » (nourrissons, personnes âgées et handicapées) et des patients souffrant de douleurs récurrentes. En effet ces derniers risquent, par épuisement, de rester silencieux, de penser que ça ne sert à rien de dire qu’ils ont mal, qu’on ne peut pas les aider. Adultes ou enfants, les mieux soulagés sont ceux qui ont l’énergie de râler !

CM : Quelles structures de prise en charge existe-t-il actuellement ?

Dr. CW : Il y a quelques années, il y avait en France 80 structures spécialisées à la prise en charge de la douleur chez les adultes et  une vingtaine de personnes prenant en charge les enfants, réparties dans les différents services ou au sein d’unités spécifiques comme la mienne. Mais les effectifs infirmiers sont tels que la qualité de soins peut être difficile à assurer. A Robert Debré par exemple, une infirmière s’occupe de deux ou trois enfants en néonatalogie (service des prématurés) et une autre a à sa charge sept enfants en pédiatrie. Lorsque les enfants sont gravement malades et que c’est le cas pour quatre sur sept d’entre eux, l’infirmière peut avoir du mal à prendre le temps d’évaluer un enfant, de lui expliquer les choses, de faire un massage ou un peu de relaxation. Il faudrait plus de souplesse dans les normes d’effectifs. Mais c’est une question d’argent…

CM : Justement, les politiques de santé se sont-elles emparées de la question ?

Dr. CW
 : Oui. Ainsi, la création d’une Spécialité Médicale « Douleur – Soins Palliatifs » a été acceptée cette année par le ministère, des postes d’internes dédiés devraient donc voire le jour (DESC Douleur Soins Palliatifs). Différents « Plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur » ont également été lancés afin de nous aider. L’Etat s’engage, mais… il n’y a pas d’argent. Et chaque gouvernement a ses priorités : le Chikougunya (et il fallait le faire), maintenant Alzheimer… Aujourd’hui, la question de la pérennité des unités douleur se pose. Moi-même, j’ai mis six ans à avoir un demi poste de psychologue et encore six autres pour avoir un adjoint ! Beaucoup de nos hôpitaux sont déficitaires. Nos consultations internes ne rapportent pas selon la T2A (système de tarification à l’acte), donc on nous demande de multiplier les consultations externes, ce qui peut se faire au détriment de la qualité.

Sein maternel : un analgésique très efficace

Une étude parue en 2002 dans  la revue Pediatrics (2002 ; 109(4) : 590-3) a montré que des  nourrissons mis au sein à l’occasion d’un prélèvement sanguin au niveau du talon (comme pour le test de Guthrie, à la maternité) montraient 91 % de pleurs et 84 % de grimaces en moins que les bébés posés dans leur berceau lors du prélèvement. Une 2e étude réalisée par l’hôpital de Poissy/Saint-Germain (British Medical Journal 2003 ; 326 : 13-15) sur 180 nouveau-nés auxquels on a fait une prise de sang, a montré que les bébés manifestaient une douleur qui était, d’après l’échelle « Douleur Aiguë du Nouveau-né » qui va de 0 à 10, de 1 pour les bébés en train de téter, de 3 pour ceux qui avaient reçu une solution de glucose plus une sucette et de 10 pour ceux qui étaient dans les bras de leur mère sans téter ou qui avaient juste reçu de l’eau.

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