Développement de l’enfant : Tout est-il joué avant 6 ans ?

Les spécialistes s’accordent à le dire : les six premières années de la vie d’un enfant sont déterminantes pour son développement et par voie de conséquence son avenir. Les parents sont donc investis, dès les premiers jours de bébé, et ce pour une période d’environ 2 190 jours au moins, d’une sacrée mission ! Mais rassurons-les tout de même : là aussi, le rattrapage existe pour ceux qui auraient échoué à certaines épreuves. Car entre recettes toutes faites et instinct, entre déterminisme génétique et éducation parfaite, il y a tout un monde : le vôtre !Tout se joue avant 6 ans : le titre de ce best-seller mondial de l’éducation a de quoi faire frémir les parents, surtout pour un premier enfant. Pour peu qu’ils aient été complètement débordés les six premières années entre vie familiale et boulot ou qu’ils aient choisi de faire confiance à leur instinct – inconscients qu’ils étaient ! – pour peu donc qu’ils découvrent cet ouvrage après-coup, quand bébé d’amour a déjà sept ans, c’est la panique ! Les plus audacieux l’ouvriront pour s’apercevoir qu’en fait, son titre est beaucoup plus radical que son propos, voire parfois contradictoire.

Ouf ! Mais il y a plus terrifiant encore : la fameuse étude de l’INSERM (Institut National de la Recherche Médicale) qui fit couler beaucoup d’encre en 2005, parue étonnamment mais par un hasard de timing juste avant les émeutes en banlieues et selon laquelle il serait possible de repérer dès le plus jeune âge, avant la maternelle, les comportements déviants de bambins futurs délinquants. Une petite couche supplémentaire dans le déjà lourd panier des parents modernes : des parents culpabilisés jusqu’à en perdre toute confiance en eux et, pour le coup, tout bon sens pour faire de leurs enfants des êtres civilisés.

Mais puisque l’on en sait aujourd’hui beaucoup sur le développement de l’enfant, voyons ce que les spécialistes ont à nous dire… Quitte à constater au passage que les connaissances sont parfois contradictoires, parfois bien maigres.
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Les grandes étapes d’une éducation réussie : suivez le guide !

Revenons donc au docteur Fitzhugh Dodson, auteur de Tout se joue avant 6 ans, qui prend une précaution bien utile en préambule de son ouvrage : une note aux parents où il précise « une mère connaît son bébé mieux que personne, c’est pourquoi si certains passages vont à l’encontre de vos sentiments de mère, oubliez ce livre et suivez votre instinct ». Nous voilà à l’aise pour écouter ses conseils. Il explique ensuite en quoi les six premières années de vie sont plus déterminantes encore que celles qui vont suivre, sachant qu’ « un enfant atteint approximativement la moitié de son niveau d’intelligence à l’âge de 4 ans, 30% de plus à 8 ans et les 20% qui restent à 17 ans ».

Avant 6 ans, un enfant va passer par des phases, plus ou moins longues selon les individus, qui seront la charpente de sa personnalité. « Au moment où l’enfant atteint ses six ans, les structures essentielles de sa personnalité sont formées. Personnalité qu’il portera en lui toute sa vie. Elle déterminera en grande partie sa réussite scolaire et sa vie d’adulte ». Alors, quelles sont ces fameuses étapes ? De la naissance à la marche, bébé acquiert sa vision fondamentale de la vie : «  De son point de vue de bébé, il établit sa philosophie de la vie et ses sentiments essentiels sur ce que représente le fait de vivre. Il est en train de forger pour son affectivité future une assise sentimentale faite ou bien de confiance et de joie de vivre, ou bien de méfiance et d’inaptitude au bonheur ». Rien que ça !

Alors, oubliés le baby blues, la fatigue, les questionnements sans réponse sur ses cris et ses pleurs : plus le bébé sera câliné, entouré, stimulé, plus il pourra passer en toute confiance à l’étape suivante, étape des premiers pas qui est aussi celle où bébé va commencer à découvrir le monde par lui-même et développer d’autres attachements que celui de sa mère. Jusqu’à la fin de la deuxième année, c’est la découverte du jeu et de l’indispensable exploration de tout ce qui l’entoure.

Puis vient, jusqu’à trois ans, la période que le docteur Dodson appelle « la première adolescence », celle où notre joli bambin va devoir faire le difficile apprentissage de la vie avec les autres, la découverte que, non, il n’est pas le maître du monde, que ce monde-là est fait de lois auxquelles il va falloir s’adapter. C’est le moment de savoir poser des limites sans frustrer son enfant, exercice ô combien périlleux. Nous voilà arrivés au fameux cap des trois ans.

Suit la période préscolaire où l’enfant va acquérir sa maturité motrice et musculaire, apprendre à contrôler ses émotions, à exprimer ses sentiments, à se séparer de sa maman et à affirmer son appartenance à un sexe… Tout un programme à l’issue duquel notre enfant devrait avoir parfaitement intégré les lois sociales et montrer un comportement irréprochable. Dans la réalité, on est souvent loin du compte !

Education : comment savoir si l’on a bien ou mal fait ?

Il n’y a pas, hélas, de réponse toute faite à cette question. Entre les convaincus des vertus d’une éducation bien menée et ceux qui affirment que les enfants arrivent sur cette terre avec une nature que l’on pourra difficilement façonner, la bataille fait toujours rage. Ajoutez à cela, au-delà de la relation parents-enfants, l’influence de l’environnement, du milieu dans lequel l’enfant évolue, sans oublier les accidents de parcours qu’il peut rencontrer – divorce, deuil, etc. – et ses six premières années, à l’image de la vie, ne seront pas forcément un long fleuve tranquille avec tous les jalons posés à la bonne place.

Quant aux recherches sur le fonctionnement du cerveau, elles n’en sont encore qu’à leurs balbutiements même les dernières en date semblent révéler que tous les espoirs sont permis. En 2002, John T. Bauer, spécialiste de l’éducation, sortait un ouvrage baptisé Tout est-il joué avant 3 ans ? où il remettait en cause l’idée très répandue selon laquelle les trois premières années de la vie  constituent le seul moment où les acquisitions peuvent s’effectuer.

Si cela est avéré pour certaines fonctions comme le langage, « il est hautement improbable que l’acquisition de compétences culturelles, du type de celles que l’on apprend à l’école dépende de créneaux propices limités dans le temps ». Et d’ajouter que « nous sommes capables de maîtriser de nouvelles compétences et d’étendre notre gamme de comportements tout au long de notre vie ». Voilà qui nous rassure !

 Claude Halmos : « Il n’est jamais trop tard mais… »
« Il n’est jamais trop tard pour redresser la barre. Ce qu’il y a de bien quand même chez l’humain, c’est que ce que des mots ont fait, d’autres mots peuvent le défaire. Mais il est clair néanmoins qu’à l’adolescence, on recueille ce que l’on a semé dans l’enfance. Il est déjà difficile de redresser la barre pour des enfants de 7-8 ans qui sont restés sans limites. Et c’est encore plus dur à l’adolescence parce que là, il y a cette période normale où l’on envoie paître toutes les règles et qui fait partie de cette nouvelle mise au monde que constitue l’adolescence. Si les repères étaient branlants avant, c’est compliqué. La crise d’adolescence, si elle bouleverse un peu tout le monde autour, est un signe de bonne santé… Celles qui tournent mal sont celles où l’enfant n’a pas été éduqué au départ. L’adolescent a besoin de faire des expériences dangereuses pour se prouver que sa vie lui appartient. Il n’empêche que s’il a eu une éducation, une conscience du danger, si on lui a dit qu’on ne mettait pas les autres en danger, soi-même non plus, il y a une limite quelque part, c’est un monde avec des repères solides, des balises qui tiennent parce qu’elles sont plantées depuis la plus tendre enfance. »

Bonne éducation : l’école juge et partie

Toujours est-il que l’école, elle, évalue dès le plus jeune âge nos chances de réussite. Un rapport de l’INSEE de 2006 faisait le triste constat que les écarts de connaissances des enfants qui entrent au CP étaient déjà très marqués par leur milieu familial, les diplômes de leurs parents et leur niveau culturel. Ils sont d’ailleurs systématiquement évalués à l’entrée au CP et voilà ce qu’il en ressort, toujours selon ce rapport : à l’issue de ces tests, un élève qui fait partie des 10% d’écoliers les plus faibles n’a qu’une chance sur trois d’arriver en sixième sans redoubler…

Un peu désespérant mais fort heureusement, les individus sont encore capables de faire mentir les statistiques. Qu’y avait-il dans le fameux rapport de l’INSERM de 2005 qui en fit bondir plus d’un ? Ce rapport proposait par exemple « des suivis sanitaires et médicaux réguliers dans les structures de garde de la petite enfance pour détecter et prendre en charge dès le plus jeune âge ceux qui montrent des troubles comportementaux ». Autrement dit, selon ce rapport et par conséquent l’utilisation qu’il pourrait en être faite, seraient étiquetés comme futurs délinquants non seulement les enfants hyperactifs mais aussi tous les petits de deux ans et demie qui passent par leur phase d’opposition, refusant tout en bloc, vociférant, tapant du pied et pourquoi pas se roulant par terre… Autant dire quasi tous les enfants !

Ce à quoi Pierre Delion, professeur de pédopsychiatrie à la faculté de Lille 2 et notamment auteur de Tout ne se joue pas avant 3 ans, répond avec force qu’il ne faut pas « stigmatiser comme pathologique toute manifestation vive d’opposition, inhérente au développement de l’enfant, en isolant les symptômes de leur signification dans le parcours de chacun » et que, si trouble du comportement il y a, il convient de reconnaître la souffrance psychique d’y apporter des solutions, thérapeutiques ou pas. Alors, pour les parents, à qui se fier ? Sans doute d’abord à son instinct car celui-ci trompe rarement quant au bien-être de l’enfant et donc à son bon développement.Et ne perdons jamais de vue que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir !

 Virginie Barret, psychologue et conseillère d’orientation : « On ne peut pas prédire l’avenir »
« Je ne crois pas au fait que l’on puisse prédire l’avenir d’un enfant dès la maternelle. Dans l’orientation scolaire, je vois des jeunes pour qui ça ne va pas très bien à l’école et qu’on revoit beaucoup plus tard, une fois qu’ils se sont stabilisés dans leur personnalité… Il y a vraiment des parcours étonnants. Il ne faut jamais penser que tout est joué à un moment donné. Parfois on en a l’impression mais pas du tout. Les enfants rebondissent. Toutes les ressources qu’ils auront accumulées leur serviront un jour. Tout ce qu’on leur a apporté dans leur enfance, les influences culturelles, les voyages, l’éducation, les rencontres, on a parfois l’impression que ça n’imprime pas tout de suite mais on le voit après quand ils sont jeunes adultes. Souvent après le bac, dans les premières années d’études supérieures, quand ils ont trouvé leur voie. C’est vrai que c’est angoissant pour les parents parce qu’il faut attendre très longtemps et tenir la distance sans désespérer ».

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