Linda vient de tomber dans le jardin et verse toutes les larmes de son corps: Maxence va chercher son doudou pour la consoler. A la crèche, Clément ne prête sa petite voiture qu’à Paul et Léna attend tous les matins devant la porte que Jason arrive pour l’embrasser. Les attentions chez les tout-petits, c’est trop mignon. Mais peut-on vraiment parler d’amitié chez les enfants qui ne parlent pas encore ?
L’amitié des tout petits
L’amitié – telle que les adultes l’entendent -, c’est le sentiment d’affection, de sympathie, qu’une personne éprouve pour une autre, et la relation qui en résulte. C’est beau l’amitié, c’est important, c’est même vital quand on est grand. Du coup, « les parents projettent parfois un peu trop leur idéal d’amitié sur leurs petits enfants, pourtant encore tout à fait incapables de construire des relations aussi durables que celles que les adultes entretiennent » raconte Catherine Graindorge, pédopsychiatre, dans un article intitulé Amis ou copains, l’amitié chez les petits (Revue Enfance et Psy n°31, Erès, 2006).
A l’âge de la crèche, des attirances peuvent exister, des rapprochements, mais sûrement pas des liens d’amitié tels qu’on les entend chez des enfants de primaire. Les bambins s’attirent et sont heureux ensemble soit parce qu’ils partagent les mêmes intérêts (courir, sauter, jouer au ballon…), soit parce qu’ils sont assez contraires (un timide avec un leader par exemple). Pour Simone Gerber, pédiatre, auteur d’Amours et amitiés enfantines (Marabout, 2008), si on peut parler de sensibilité d’un enfant pour un autre dès la crèche, on ne peut pas parler d’amitié tant que l’enfant ne sait pas exprimer ses émotions par le langage. Et avant de parler, il y a tout un parcours…
Le chemin vers les autres
Au début, après la naissance, bébé est collé à papa et maman. Puis « la station assise, débout, à quatre pattes et la marche élargissent ses capacités relationnelles. La « bulle » protectrice englobant la mère et l’enfant s’ouvre progressivement et différemment selon les modalités de la vie affective, familiale, sociale et culturelle » écrit Simone Gerber. Enfin, « dès que l’enfant est habité par un sentiment de sécurité suffisamment important, il peut prendre le risque d’aller vers une personne étrangère ».
Mais ce n’est pas avant 4-5 ans, pas avant qu’il ne soit sorti du stade oedipien où son amour est essentiellement porté aux parents, que l’enfant pourra se faire de vrais amis à côté de la famille. Employer le terme « amour » entre deux enfants de 4 ans est inapproprié. A trois ans, un enfant peut être heureux d’être avec un autre enfant, mais cela n’a pas du tout la même résonance que chez un adulte pour qui une relation d’amour aboutit sur de la sexualité.
« Quand on a trois ans, on ne sait même pas comment on fait les bébés, on est dans un autre monde, sur une autre planète. C’est donc gênant que certains parents parlent d’amour entre deux enfants de cet âge. Ils collent sur cette relation un mot qui n’a pas sa place », estime Catherine Graindorge. C’est alors le temps des secrets, où l’on commence à se confier des choses entre vrais amis, même si, à cet âge, les enfants changent de copain comme de tee-shirt. Une versatilité qui n’est plus vraie quand l’enfant a 9-10 ans, quand sa personnalité, jusqu’alors en construction, est devenue plus stable.