De l’inné à l’acquis

Grégory Michel est Professeur de Psychopathologie de l’enfant à l’Université de Bordeaux 2 et psychologue clinicien dans le service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré à Paris. Il est aussi co-auteur de l’ouvrage Personnalité et développement, du normal au pathologique récemment paru aux éditions Dunod. Il décrypte pour nous la délicate question de l’inné et de l’acquis.Côté Mômes : Le débat sur l’inné et l’acquis dure depuis des décennies et a été encore récemment au centre de l’actualité. Où en sont les recherches de ce point de vue ? Il semble que les théories s’affrontent…
Pr Grégory Michel : C’est un sujet très compliqué et qui porte des théories très diversifiées avec des soubassements philosophiques, voire idéologiques. Les études montrent qu’effectivement il y a une part qui est de l’ordre de l’inné… Cet inné comprenant le biologique, la génétique mais aussi des facteurs liés à des événements qui ont pu se passer pendant la grossesse, pendant l’accouchement et qui vont avoir des répercussions sur le fonctionnement psychologique de l’enfant. Certes, des caractéristiques sont repérables assez tôt, dès quelques mois. Dès lors, on a tendance à penser que ce qui tient de la génétique, c’est du déterminisme sur lequel on ne pourra pas agir.

 Or, toutes les études qui portent sur la génétique des comportements soulignent justement les interactions complexes entre les gènes et l’environnement et donc entre l’inné et l’acquis. Pour qu’un génotype puisse s’exprimer, il faut une rencontre entre l’organisme qui serait éventuellement porteur d’une vulnérabilité ou d’une aptitude et un environnement spécifique.

 Un enfant qui aurait par exemple des propensions à devenir un grand sprinter ne deviendra jamais champion s’il n’évolue pas dans un environnement qui favorise l’épanouissement de ces caractéristiques. On est vraiment dans une problématique de l’ordre de l’interaction. Il y a des gènes qui peuvent ne jamais s’exprimer et cela renverse un peu l’idée qu’un gène va inévitablement donner lieu à tel ou tel comportement.

Le caractère : un instinct révisé en permanence par l’éducation

CM : Quelle est la part d’inné chez un enfant qui vient au monde et dans quelle mesure les  parents influent-ils sur ce que deviendra leur enfant en termes de développement social ?
GM : Il faut reprendre là quelques définitions de base car on fait souvent un amalgame entre personnalité, caractère et tempérament. Le tempérament, et là les chercheurs sont assez unanimes, ce sont des caractéristiques individuelles relevant du comportement, des émotions, ces fameuses caractéristiques repérables précocement.

Dès six mois, on peut repérer déjà des éléments relativement stables dans le temps qui seraient sous la dépendance du biologique, voire de la génétique. Là, c’est plutôt de l’ordre de l’inné. Sauf que ce tempérament va malgré tout se modifier en fonction de l’âge. Le tempérament repéré à un an ne va pas s’exprimer de la même manière chez l’enfant à 5 ans, chez l’adolescent ou chez l’adulte. Un exemple très simple : les enfants qui sont plutôt impulsifs s’exprimeront différemment selon leur âge.

Chez l’enfant petit, ça va donner lieu à une sorte de précipitation dans ses réponses, dans ses comportements. Mais si cette impulsivité est canalisée, qu’elle peut s’exprimer dans des activités sportives par exemple, l’enfant apprendra au fil du temps à répondre différemment aux sollicitations, à être attentif aux autres et prendra conscience que son tempérament peut le mettre en danger… En fonction de l’âge et de l’environnement, un certain contrôle s’exercera sur ces caractéristiques de base alors qu’elles sont biologiques. Et là, on arrive sur le caractère. Le caractère, c’est ce que l’acquisition, l’éducation va apporter au tempérament au fil du temps. Quant à la personnalité, c’est une savante combinaison des deux.

Quand enfants et parents s’éduquent mutuellement

CM : Dans le domaine de l’acquis, quelle est la part d’influence de l’environnement extérieur (école, copains) et des parents ? Qui des deux l’emporte ?
GM : C’est surtout les parents et surtout lors des premières années de vie. Il y a plusieurs paramètres. Il y a la notion d’attachement, c’est-à-dire la qualité relationnelle qui existe entre les parents nourriciers et le nourrisson. C’est la disponibilité affective des parents pour l’enfant, le fait de lui accorder une place en tant qu’individu. Un tel attachement donne une base de sécurité importante à l’enfant et cette base sera essentielle dans la façon dont la personnalité va se construire. Et puis il y a les styles éducatifs, la façon dont les parents vont mettre en place des pratiques, des attitudes éducatives. Il y a des pratiques qui se basent sur des normes, des interdits, des punitions, des sanctions, sans discussion, sans explications. Cela façonne la personnalité. D’autres parents ont un style appelé permissif, ils sont très chaleureux mais ne posent pas de limites et ne sont pas très structurants. Si ce style peut n’être d’aucun danger pour un enfant au tempérament plutôt calme et obéissant, il risque d’être préjudiciable pour un enfant plus impulsif car, n’ayant pas intériorisé les limites, il pourra se mettre en danger et avoir des soucis de socialisation. Et puis il y a le style démocratique, où les enfants sont responsabilisés, où on leur explique les décisions prises dans la famille. A priori, c’est ce qui fonctionne le mieux. Mais il n’y a pas de recette toute faite. Ce qui est « efficace » pour un enfant ne le sera pas forcément pour un autre.

 
CM : Ce qui nous fait rebondir sur la pensée de Judith Rich Harris qui remet en cause le primat de l’éducation parentale en expliquant que l’enfant lui-même conditionne l’attitude que ses parents ont avec lui et donc l’éducation qu’ils lui donnent.. Qu’en pensez-vous ?
GM : Je suis tout à fait d’accord avec ça. Dans les années 80, on évoquait déjà ça, cette notion d’ajustement réciproque. Pendant longtemps, on a eu tendance à évoquer les troubles du comportement de l’enfant soit par un manque éducatif, soit en accusant l’environnement. D’autres avaient une approche un peu plus génétique. Maintenant, on sait que le tempérament de l’enfant va conditionner certaines réponses de la part des parents. Certains parents par exemple supportent mal des enfants très vifs et ont tendance à adopter des comportements basés sur les réprimandes, les punitions… Qui vont faire que le tempérament de l’enfant va aussi évoluer sur un mode de l’opposition ! Cette interaction est évidente. La première chose pour les parents, qui est assez compliquée, c’est déjà de reconnaître que l’enfant a ses propres caractéristiques qui peuvent être différentes de celles qui existent chez les deux parents ou même chez l’un d’entre eux. Ils pourront peut-être agir sur certaines mais pas sur toutes. Il faut essayer néanmoins de proposer à l’enfant un environnement, des conditions de vie adaptées à son tempérament pour son épanouissement personnel et celui des parents.

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