L’allaitement longue durée : jusqu’à quand ?

A l’heure où l’allaitement maternel revient en force, de nombreuses mères n’hésitent pas à allaiter leur enfant au long cour. Vont-elles trop loin ?

Depuis un certain nombre d’années, les études sur les bienfaits de l’allaitement se sont multipliées. Confortant les mères dans l’idée qu’il faut allaiter tant qu’on le peut. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande jusqu’à 6 mois d’allaitement exclusif, et de plus en plus de mères s’appuient sur ce constat pour allaiter leur enfant 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans, ou plus.

Lorsque la durée de l’allaitement est longue (au-delà de 9 mois), il n’est pas rare d’entendre quelques réflexions au sujet de l’équilibre psychologique de l’enfant grandissant et de l’adulte qu’il deviendra. Cet allaitement long, et cette relation fusionnelle avec les seins de sa mère ne vont ils pas perturber d’une façon ou d’une autre le développement psychologique voire la sexualité de l’enfant ? Dans nos cultures, la tendance naturelle est de penser qu’un enfant allaité longtemps sera nécessairement très dépendant de sa mère et qu’il ne sera certainement pas capable d’être sevré autrement que par une action coercitive.

Certaines études ont montré depuis longtemps que l’allaitement ne vient pas seulement en réponse à une demande de nourriture mais aussi comme moyen de soulager l’enfant en cas d’inconfort (stress, peur…). Par voie de conséquence, un enfant allaité, grandit dans une atmosphère de tendresse, d’amour, de confort et de protection qui lui permet de développer le sentiment très fort de sécurité face au monde qui l’entoure : il aura donc tendance à expérimenter rapidement de nouveaux gestes, et à gagner en indépendance dans la mesure où il sait que sa mère est là en cas de besoin.

Tardif jusqu’à quand ?

Il n’existe aucune donnée statistique sur le nombre de mères qui pratiquent l’allaitement prolongé, mais elles seraient de plus en plus nombreuses. «On n’a qu’à regarder la multiplication des sites web, des forums et des blogues sur le sujet. On voit aussi une tendance à la hausse dans les cercles d’allaitement. Ce n’est que la pointe de l’iceberg», avance l’auteure britannique Ann Sinnott.

En janvier, elle a publié Breastfeeding Older Children (Free Association Books), dont la version française est attendue en 2010. Pour son livre, cette monitrice de la Leche league a sondé mères, pères et enfants de 48 pays afin d’explorer les mythes et réalités de la pratique.

«Aujourd’hui, le sein est perçu comme un objet sexuel, affirme Ann Sinnott durant un entretien téléphonique. Sa fonction première d’allaitement a disparue. C’est devenu inacceptable d’allaiter son bambin en public. On voit les enfants comme des petits adultes dès qu’ils parlent et qu’ils marchent, alors certaines personnes réagissent fortement. Allaiter n’a rien d’un acte sexuel.»

Les pressions viennent du public, mais aussi de la famille et des professionnels de la santé. Selon plusieurs psychologues, l’allaitement prolongé pourrait nuire au développement psychologique de l’enfant, à son autonomie. On s’interroge aussi sur ces mères allaitantes : obéissent-elles au doigt et à l’œil à leur enfant, sont-elles trop attachées à leur progéniture ? Les principales concernées, convaincues des bienfaits de l’allaitement, préfèrent faire la sourde oreille.

Un Tanguy en puissance ?

En ce qui concerne les conséquences psychologiques, on aurait tendance à croire que l’allaitement prolongé implique une certaine « régression » ou du moins entrave le développement psycho-affectif de l’enfant. On pourrait penser que dans un rapport assez exclusif avec la mère, il finisse par se détacher très difficilement du foyer familial. De là à dire qu’il restera à la maison jusqu’à 35 ans, comme le fameux Tanguy, n’exagérons rien. Aucune étude ne prouve que l’allaitement prolongé engendre un comportement de dépendance de l’enfant.

Remède miracle contre les bobos

« L’allaitement est un remède fantastique contre la gastro. Quand toute la maisonnée est malade, mon garçon Ulysse, qui est allaité, s’en tire à tout coup, indique Marie-Claude Couture, mère de quatre enfants. Quand il ne mange pas, je suis rassurée parce qu’il trouve ses nutriments dans mon lait. Je l’allaite aussi lorsqu’il est trop excité et qu’il a besoin d’être calmé. Pour l’endormir, ça fonctionne instantanément. »

Selon l’auteure Ann Sinnott, les enfants tètent naturellement jusqu’à ce que leur système immunitaire soit mature, vers l’âge de 4 ans. « Les enfants ont tendance à téter davantage lorsqu’ils sont malades et ils se rétablissent plus rapidement », avance-t-elle.

Allaitement : halte aux idées reçues

« Ta fille n’arrivera jamais à se détacher de toi. Et puis, la mettre encore au sein à 10 mois, tu ne trouves pas ça un peu incestueux ! »… Voilà le genre de réflexion que les mamans entendent souvent de nos jours lorsqu’elles allaitent toujours leur enfant qui marche ou qui a déjà des dents. Car si, au début du XXe siècle, l’allaitement prolongé était encore la norme et personne n’avait alors l’idée de faire ce genre de remarque aux mamans, il est d’usage aujourd’hui d’accepter que celui-ci dure jusqu’aux 3 ou 4 mois de l’enfant (grosso modo, la durée du congé de maternité). Et point barre.

Pourtant, l’allaitement prolongé n’est pas seulement pratiqué dans les peuplades reculées. Dans des pays européens comme le Danemark ou la Norvège, les mères allaitent longtemps (environ 60 % des bébés prennent encore le sein à l’âge de 1 an !) sans toutefois être considérées comme des attardées ou des rétrogrades.

Mais est-ce vraiment bon pour les bébés d’être allaités jusqu’à 1, voire 2 ans ? En posant la question, on sent bien le rapport encore difficile que l’on peut avoir avec l’allaitement dans notre société. Alors, pas de panique ! Non, il n’y aucun risque, en le poursuivant pendant une ou deux années, de rendre votre enfant psychologiquement plus faible qu’un autre, plus craintif, plus dépendant de vous.

Au contraire, pour les psychanalystes, l’allaitement maternel constitue un élément majeur de la relation mère-enfant : tous les bébés ont un besoin intense de leur maman, et le fait d’être allaités longtemps leur procure bien plus que du lait. Ils ressentent ainsi un fort sentiment de sécurité affective, indispensable pour grandir et devenir autonomes. Alors, si l’idée d’allaiter votre bébé bien au-delà des six mois minimum préconisés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vous séduit, voici quelques clés pour prolonger l’allaitement en toute sérénité.

Le temps de la diversification alimentaire

L’allaitement maternel complet suffit pour nourrir un bébé jusqu’à ses 6 mois. Au-delà, il ne permet plus à lui seul de combler les apports énergétiques (protéines, fer, zinc, vitamines A et D) dont un enfant a besoin pour bien grandir : il est donc temps de diversifier son alimentation et d’introduire des aliments solides.

Deux bonnes nouvelles ! Votre bébé devrait bien digérer cette nouveauté, au sens propre comme au figuré. Premièrement, contrairement aux idées reçues, pour un bébé allaité, il est souvent facile de passer aux aliments solides. Le lait de sa maman lui offre une palette de goûts si variée qu’il a beaucoup de curiosité pour les nouvelles saveurs. Deuxièmement, grâce à ses enzymes spécifiques, le lait maternel va l’aider à bien digérer le gras et les protéines.

Pour débuter la diversification, les conseils sont les mêmes que pour une maman qui n’allaite pas. Si votre pédiatre n’a jamais évoqué de risques d’allergies, commencez par introduire des fruits et des légumes (sources de vitamine C) au début du sixième mois de votre enfant. Proposez un aliment à la fois et attendez deux jours voire une semaine avant de passer à un autre. Puis, à 6 mois révolus, faites-lui goûter la viande, le poisson et l’œuf.

Qu’en pensent les mamans ?

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la Haute Autorité de Santé conseillent d’allaiter tous les enfants au sein pendant au moins deux ans et puis aussi longtemps que la mère et l’enfant le souhaitent. Ce conseil est valable mondialement. Le moment où l’enfant lui-même arrêterait de téter selon la norme biologique, se situe entre les trois et sept ans. En France, en 2007, 66,3% des femmes allaitaient leur bébé à la naissance. Après six mois ce taux avait baissé jusqu’à 28,3%.

« Arrêter de téter – Pourquoi ? » Le Centre d’Expertise Allaitement aux Pays-Bas a réalisé un reportage sur les mamans qui pratiquent l’allaitement prolongé. Voici quelques citations retenues :

« Je trouve ça très important de continuer d’allaiter le plus longtemps possible, parce que le système immunitaire d’un être humain sera fini vers sept ans. »

« Je ne vois pas pourquoi je lui donnerai du lait de vache tant que je peux lui donner mon propre lait. Je crois que la nature l’a prévu comme ça. Je pense que le c’est le plus beau cadeau que tu puisses faire à ton enfant. »

« J’ai commencé un jour, et je n’ai pas eu de raison pour arrêter, donc aussi longtemps qu’elle souhaite téter et tant que mes seins offrent du lait, j’offre mes seins. »

Du côté des lectrices de Côté mômes même combat ! France : « 28 mois et on continue. Ma fille adore téter, elle y trouve à manger, à boire, du réconfort, ça soulage quand elle a mal aux dents, l’endort paisiblement et c’est plein de temps passé ensemble (avec 3 autres frère et sœurs le temps est compté). Et moi j’adore même s’il m’arrive de râler quand j’ai des choses à faire. Ils grandissent si vite faut profiter de chaque moment de leur petite enfance ! »

Hélène : « Je n’ai plus de montée de lait, pourtant elle a l’air de bien déglutir et d’être rassasiée quand elle tète mais j’ai toujours peur de manquer de lait. Et puis, il y a les réflexions qui commencent à me peser un peu : « tu l’allaites encore ? Tu n’as pas peur qu’elle te morde ? Tu vas l’allaiter jusqu’à quand ? ». Mais pour ma fille, ça lui convient, elle ne refuse jamais ! »

Allaités… des années !

Ce livre écrit par Ann Sinnott, écrivain anglais, se penche sur les origines de l’allaitement prolongé, et toutes les questions qui s’en dégagent. L’allaitement long a-t-il un impact négatif sur le développement physique et émotionnel de l’enfant, ou bien un effet positif ? Quand le sevrage précoce est-il devenu une pratique établie dans le monde occidental ? L’allaitement au long cours est-il une question féministe ? Cette pratique affecte-t-elle la relation de couple ? De la préhistoire à aujourd’hui, «  Allaités… des années ! » veut dissiper les mythes et l’ignorance qui entourent la pratique de l’allaitement prolongé.

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