Troubles de la relation mère-enfant : rien n’est impossible

Si  la prévention des troubles de la relation mère-enfant est compliquée, elle n’est pas impossible, comme en témoigne la psychiatre Laurence Carlier, responsable de l’Unité de Maternologie de l’hôpital Jean-Martin Charcot à Saint-Cyr-l’école (78). Rencontre.Côté Mômes : Qu’est-ce qu’une mère en difficulté maternelle ?
Laurence Carlier : Parmi les nouvelles accouchées, 10 à 15% des femmes sont en difficulté maternelle. Cela se traduit ainsi : dans les semaines qui suivent la naissance du bébé, elles s’aperçoivent, avec beaucoup d’angoisse et de culpabilité, qu’elles ne ressentent rien pour leur enfant, que la maternité ne les rend pas heureuses, que le nourrisson les fatigue et les irrite et que c’est pire de jour en jour. Ce mal être se formalise la plupart du temps par une dépression, appelée « dépression du post-partum ». Pourtant, 90 à 95% d’entre elles n’ont aucun antécédent psychiatrique, et il s’agit le plus souvent d’un enfant désiré, avec parfois même une grossesse et un accouchement « de rêve »… Face à cette souffrance, certaines retourneront leur mal-être contre elles (suicide), ou contre leur enfant (maltraitance). D’autres peuvent, de manière mécanique, continuer à avoir des actes de maternage pour leur enfant (lui donner à manger, le changer, le laver…) mais sans plaisir, quelques-unes n’en sont même plus capables. Certaines vont finir par le dire à leur médecin, tard et avec beaucoup de difficulté, car qui ose avouer que la maternité ne rend pas forcément heureuse dans notre société ? Mises sous anti-dépresseurs, leur souffrance sera « anesthésiée », mais au fond n’aura pas disparu. Ici, notre travail est de mettre à jour ce qui a empêché la rencontre de la mère avec son bébé, le coup de foudre, et lui permettre d’arriver. Le lien et la communication pourront alors s’installer et l’aventure commencer…CM : En quoi est-il urgent de repérer ces femmes ?
LC
: Nous travaillons en concertation avec les réseaux de périnatalité (pédiatres, PMI…) pour repérer les mamans en souffrance. C’est difficile, car les facteurs de susceptibilité ne sont pas spécifiques : cela peut arriver aux femmes de tous âges, de toutes classes sociales, au premier comme au 5e enfant… A l’inverse, des difficultés à vivre la grossesse ne sont pas prédictives de problèmes après ! L’être humain ne se laisse pas facilement mettre en cases. D’autre part, les informations sur la difficulté maternelle ne circulent pas encore assez. Or il est primordial d’identifier les femmes qui souffrent au plus vite, car depuis la grossesse et jusqu’à neuf mois après la naissance de son bébé, elles bénéficient d’une disponibilité d’esprit très particulière (entre autre la fameuse « transparence psychique » décrite par Monique Bydlowski), dont nous avons besoin pour travailler.
CM : S’il n’y a pas eu prise en charge avant les 9 mois de l’enfant, que se passe-t-il ?
LC : Les mamans finissent par sortirent de leur dépression, car la force de vie reprend le dessus, mais il reste une cicatrice. Leurs relations à l’enfant pourront se fonder sur le doute et la culpabilité. Quand l’enfant va grandir, la mère pourra avoir du mal à lui mettre des limites, car elle aura peur de ne plus être aimée. De son côté, l’enfant « insecure », peut développer de nombreux troubles : troubles du sommeil, de l’alimentation, pleurs incessants, problèmes digestifs… Pour une petite fille, le moment d’aborder la maternité pourra s’avérer une étape difficile. Cela dit, un enfant dont la mère a une difficulté à devenir mère ne souffre pas forcément de carences affectives (et son cortège de troubles), car il y a souvent d’autres personnes autour de lui, le père notamment, qui peuvent compenser. Si un de ses deux parents peut offrir une permanence affective, c’est le principal. Enfin, il est toujours possible d’intervenir après les neuf mois de l’enfant, même si le résultat est moins optimal.CM : Quelle est la spécificité de votre Unité de Maternologie ?
LC : En 1987, le Dr. Jean-Marie Delassus a voulu fonder à Saint-Cyr un véritable service de médecine périnatale et de soins de la maternité psychique, et non une unité de psychiatrie mère-bébé telle qu’il en existait déjà. Ici, il y a donc toute une équipe pluridisciplinaire composée d’infirmières, de psychologues, de puéricultrices, de sages-femmes, de pédopsychiatres et de pédiatres, concevant la maternité comme un processus psychique qui peut être en souffrance. A partir de là, le but est d’identifier les dysfonctionnements maternels précoces pour prévenir les handicaps susceptibles de menacer le développement de l’enfant.

Pour se faire, nous aidons la mère à repérer ce qui fait blocage à sa maternité, au travers notamment de vidéos cliniques et d’entretiens psychothérapeutiques. Les mamans hospitalisées sont filmées deux fois par semaine pendant qu’elles nourrissent leur petit : la vidéo permet un regard commun pour toute l’équipe. C’est ce « regard soignant » qui va soigner la maman, lui permettre ensuite de regarder son enfant… Suivant la gravité de la difficulté maternelle, nous proposons l’hospitalisation à plein temps de la maman et de son enfant de 0 à 9 mois (capacité de quatre lits mamans et quatre lits bébé), l’hospitalisation de jour (pour les femmes en attente de plein temps ou venant juste de le quitter) et les consultations (pour les mamans enceintes ou en post-natal dont la difficulté maternelle n’est pas sévèrement préjudiciable au développement de l’enfant). La durée d’hospitalisation est d’environ 6 à 8 semaines.  

Unité de Maternologie, 1 rue Raymond Lefebre – 78210 Saint-Cyr-l’Ecole. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de l’Association française de maternologie, http://materno.club.fr.

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