Le choix de ne pas allaiter

Donner le sein est tout ce qu’il y a de plus naturel. Mais pas pour tout le monde ! Anxieuses, inquiètes ou militantes, de nombreuses mamans choisissent de ne pas allaiter. Et elles ne comptent pas s’en excuser !
 

Allaiter ou pas ? En France, pays historiquement réfractaire, les choses changent. Depuis le début des années 2000, le taux d’enfant allaité augmente : alors que seulement une maman sur deux allaitait il y’a dix ans, elles sont aujourd’hui près de 70%. Un taux toutefois inferieur à celui des pays nordique, qui avec 9 mamans sur 10 donnant le sein sont les recordmans de l’Europe (comme dans à peu près tout d’ailleurs…).

Si des complications médicales empêchent parfois les mamans désireuses d’allaiter de le faire, pour certaines, c’est un choix bien réfléchi et qu’elles expliquent et revendiquent. Décision justifiée ou simple manque de connaissances ? ça dépend ! 

 

Je ne veux pas allaiter, j’ai peur !

Comme bon nombre de mamans, Françoise, 24 ans, a choisi de ne pas allaiter. Loin d’être une militante féministe, elle justifie son choix de façon très simple : « Je ne voulais pas montrer mes seins à tout le monde ! Je suis très pudique et je ne me voyais pas sortir un sein devant mon beau-père ou au parc… ».

Même si cela peut paraître léger (et à la plage alors ?), la pudeur est une des premières raisons qui freinent les femmes souhaitant allaiter. Pour Delphine Hoerner, maman spécialiste de l’association Allaitement Informations, il s’agit avant tout d’une question de position : « Lorsque le bébé tête, une grande partie du sein est tout de même dissimulé… Et puis on donne rarement le sein dans le métro, il suffit de s’organiser. »

De façon plus pratique, beaucoup de mamans n’allaitent pas car elles ont peur de ne pas savoir. Une peur pourtant infondée : « Techniquement, ce n’est pas très compliqué et il y a très peu de mamans qui ne peuvent pas allaiter. Il n’y a pas besoin d’une semaine de formation !».

De la même façon, les principales craintes évoquées ne sont pas fondées : impossible par exemple de créer du « mauvais lait » à cause d’un régime alimentaire trop riche en pizza… Pour ce qui est des allergies, elles ne sont pas transmises lors de l’allaitement mais avant, lors de la grossesse.

Pour ce qui est de la quantité de lait ingéré, il est vrai qu’il est plus difficile de mesurer la quantité disponible dans un sein que celle contenue dans un biberon ! Néanmoins, le bébé sait bien ce qu’il lui faut et d’autres façons de mesurer son alimentation sont possibles, comme le nombre de couches remplies par jour (six en moyenne) et la prise de poids.

Enfin, certaines femmes généreuses craignent de ne pouvoir allaiter de peur d’étouffer le bébé avec leur volumineuse poitrine. C’est la encore une question de position : peu de chance d’étouffer un bébé en allaitant. Un homme, à la limite…

D’après la psychologue Anne-Laure Prémaillon, les peurs liées à l’allaitement ne s’arrêtent en général pas là : « L’anxiété vient d’une perte d’instinct. Les femmes qui ont peur d’allaiter, de ne pas sa voir comment faire, manque souvent de repères plus généraux et ne se sentent pas capables de bien s’occuper de leur enfant. Avec des biberons, elles s’inquièteront tout autant… »

 

Belle maman

Au chapitre des débats jamais résolus, on trouve la question de la douleur : « Allaiter, ça fait très mal ! » raconte Eodie,26 ans, qui a vécu une expérience douloureuse et a décidé de ne plus allaiter. « Il ne faut pas se mentir, ça peut faire mal ! confirme Delphine Hoerner. Les premiers jours surtout, l’alvéole étant extrêmement sensible. Mais au bout de quelques jours, le corps s’habitue et c’est tout à fait supportable, sauf en cas de complications.» De mauvaises positions peuvent ainsi entrainer la création de crevasse, d’engorgement ou d’infection, qui se révèlent objectivement très douloureuses.

Les plus coquettes refusent d’allaiter car elles ne veulent pas abimer leurs seins. Mensonge ou vérité ? Certes, bien des poitrines subissant dramatiquement l’apesanteur se dissimulent derrière le classique : « J’ai nourri six enfants ! ». Mais dans les faits, l’allaitement ne change pas grand-chose : la quantité de lait et le volume des seins varient tout au long de la grossesse et allaiter n’y change rien. C’est une question de tissu musculaire, et il n’y a pas de vérités génériques.

Pour le Dr Prémaillon, ce mélange entre l’apparence physique et l’allaitement peut dissimuler un refus de la maternité : « Beaucoup de femmes ont tendance à faire des régimes, après ou même pendant la grossesse pour retrouver leur corps « d’avant ». Ce n’est simplement pas possible ! Attention toutefois, ce ne sont pas forcément des névrosés ou des obsédés du physique ! Certaines ont pu voir des exemples marquants qu’elles ne souhaitent pas reproduire. Mis allaiter ou pas n’y changera rien. »

 

Et papa dans tout ça ?

Pendant que maman allaite, papa bricole ? Certaines femmes refusent d’allaiter afin de ne pas exclure le papa, plus apte à donner le biberon qu’à dégrafer sa chemise. « Mon mari regrettait presque de ne pas le porter, je ne voulais pas le priver de ça aussi ! » explique Melanie, 27 ans. La relation fusionnelle qui se noue avec l’enfant, encore plus par l’allaitement, peut effrayer : le fait de confier l’alimentation de l’enfant, ne serait-ce que de temps en temps, à son conjoint, rassure. « Je ne suis pas son Dieu ! » rappelle Mélanie.

Romantique, certaines mamans préfèrent garder leurs seins pour leurs maris ! L’aspect sexuel n’est pas à exclure. Julie, 22 ans, a décidé d’arrêté d’allaiter après quelques tentatives : « Je ressentais du plaisir lors de l’allaitement, et je trouvais que c’était étrange. Ce n’était pas approprié ». En effet, lors de l’allaitement, la femme peut ressentir des sensations sensuelles habituellement réservées aux ébats amoureux. En privant leurs enfants de leurs seins, symbole ultime de féminité (avec les chaussures), elles souhaitent définir une frontière claire entre la femme et la mère.

Et puis, tout simplement, il y a les mamans qui n’allaitent pas car ça ne leur dit rien. Virginie, 34 ans, témoigne : « Si on ne m’en avait pas autant parlé, je crois que ça ne me serait même pas venu à l’esprit. Pour moi le lait, c’est les vaches. » Le côté animal, fer de lance de la campagne féministe d’Elizabeth Badinter (« la femme n’est pas une vache laitière ») est paradoxalement peu naturel pour un certain nombre de femmes. Dans une société ultramoderne visant à éloigner l’être humain de son statut de mamifère, certaines fonctionnalités peuvent parraître étrange : « Je ne me vois pas sortir du boulot, prendre le train, passer un coup de téléphone, puis sortir mon sein et donner du lait » explique Virginie.

Allaiter ou arrêter… de travailler ?

Si la supériorité du lait maternel n’est plus à démontrer, il n’est pas forcément des plus pratique au jour le jour. Bien sur, aucun risque d’oublier le biberon dans la voiture. Mais plus question de rater un repas ! « Je suis tout le temps en train de bouger, explique Melanie. Je ne peux pas prendre le risque de rater un repas à cause d’un problème de transport par exemple. Et je ne veux pas non plus passer toute la journée à la maison. »

Si les mères allaitantes peuvent laisser le papa dormir la nuit (ce qu’elles ne font pas), les mamans au biberon peuvent elles aussi se reposer de temps en temps. D’autant qu’un bébé nourrit au biberon ferait ses nuits plus rapidement. Une demi vérité selon Delphine Hoerfer : « Le lait maternel se digère plus vite, ce qui fait que le bébé a faim plus rapidement et a tendance à se réveiller plus souvent. Mais pour qu’un bébé dorme une nuit complète, c’est-à-dire au moins cinq heures, d’autres paramètres entrent en jeu. »

Mais la principale raison pratique qui pousse les femmes à ne pas allaiter est évidemment le travail, le congé maternité étant considéré comme trop court. D’après les professionnels de la santé, l’allaitement doit durer jusqu’aux six mois du bébé pour qu’il soit véritablement bénéfique. Or le congé maternité français n’est que de 16 semaines (contre 54 en Bulgarie !). « On nous force à choisir, commente Virginie. Et si on choisit le travail, on passe tout de suite pour une working girl féministe qui ne pense qu’à sa carrière ! ».

 

Maman quand même !

Point commun de toutes ces mamans ne souhaitant pas allaiter : la volonté d’affirmer qu’elles sont, tout de même, des vrais et bonnes mamans ! Tout le monde est d’accord : le fait d’allaiter doit rester un choix de la maman. Et pourtant, sur internet, pro et anti-allaitement se bagarre vigoureusement. Céline Dalla Lana, sage-femme et auteur d’Allaiter tout simplement ne croit pas à la pression sociale : « Personne ne force les mères à allaiter. Mais il est vrai qu’il y’a une vision de la maternité plus écologique, plus proche de la nature, qui induit l’allaitement, mais pas seulement, on parle aussi beaucoup de maternage… ».

Sylvie, 34 ans, a une vision moins pacifique des choses : « J’ai choisi de ne pas allaiter, et j’entends en permanence « c’est dommage » ou des « pourquoi ? » comme si ma décision était incompréhensible ! On m’envoie aussi des mails d’articles qui expliquent que le lait maternel est meilleur… ».

Le choix définitif de la maman se fait parfois lors de la « tété  de bienvenue ». Proposé quelques minutes après l’accouchement (s’il s’est déroulé normalement), cette première tété n’est en général pas extrêmement efficace : posé à proximité de votre sein, le bébé téte par reflexe, mais n’est pas très vaillant. Si on ne peut pas parler de repas complet, cette première tété permet au bébé d’absorber un peu de colostrum, un « pré-lait » riche en protéines et en anticorps.

Cette première tété n’augure en rien la suite, et peut déboucher sur un allaitement ou pas. « Le titre de tété de bienvenue est un peu gênant. Cela veut dire que celle qui ne veut pas le faire ne souhaite pas la bienvenue à leur bébé ? C’est un peu culpabilisant… ».

Fondés ou pas, les arguments des mamans allaitantes et non-allaitantes risquent de les opposer encore longtemps. Heureusement, elles pourront se réconcilier quelques années plus tard en luttant quotidiennement contre une question beaucoup plus grave. Une fois le temps du « comment » résolu, il faut en effet s’attaquer à la plus grande interrogation de l’homme moderne : qu’est-ce qu’on mange ?

 

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